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elle montrait à son oncle une affection toujours attentive. Mais elle était devenue impérieuse et était portée à imposer aux autres, sinon la conduite qu’ils devaient tenir, du moins ses idées. Elle avait beaucoup vécu au milieu des livres, et c’était un bonheur pour elle de contempler la mer, un volume de poésies à la main, jouissant dans toute leur plénitude des dons de l’intelligence qu’elle avait si largement reçus. Elle avait peut-être appris à connaître trop bien sa supériorité, et elle était quelque peu disposée à mépriser les plaisirs d’un ordre moins élevé, auxquels les autres se livraient. Le changement de la position augmenta plutôt qu’il ne corrigea ces faiblesses. Dans son absolue pauvreté, — car elle voulait que sa pauvreté demeurât absolue, — elle ne pourrait se faire et se maintenir une supériorité que par son mérite personnel. Elle décida que, si elle était réduite à vivre dans la maison de son père, elle remplirait tous ses devoirs à l’égard de sa belle-mère et de ses sœurs. Elle leur serait utile autant qu’il serait en son pouvoir ; mais il lui serait impossible de jouer avec les jeunes filles et de bavarder avec Mrs. Brodrick. Tant qu’il y aurait un ouvrage à faire, elle le ferait, si pénible, si vulgaire, si révoltant qu’il fût ; mais, une fois son travail achevé, elle irait retrouver ses livres.

On comprendra que, avec cette humeur et ces idées, il devait lui être bien difficile de se rendre heureuse, ou de contribuer au bonheur des autres, dans la maison de son père. Et puis, il y avait cette terrible question d’argent. Dans sa dernière visite à Hereford, elle avait dit à son père que, bien qu’elle ne dût plus être l’héritière de Llanfeare, il lui reviendrait une somme d’argent qui l’empêcherait d’être un fardeau pour la famille. Maintenant, tout était changé. Si son père ne pouvait l’entretenir, ou ne le