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votre air sérieux et solennel, comme si de répéter cela était un crime et pouvait diminuer d’un jour la vie de ce bon vieux gentleman.

— Je n’ai aucune intention de prendre un air solennel, Algernon, mais je ne vois rien de gai dans cette visite. Du reste, si ce que cette sotte de Bridget vous a dit est vrai, pourquoi faire ainsi des sottises et vous moquer de vos cousines, au lieu de vous faire voir sous un jour plus favorable ?

— Moi, mère ! à quoi bon ? Tout le monde dit que je vais mourir, excepté vous, Florence et Bridget ; chacun me considère comme presque défunt, et j’ai bien vu, à dîner, que Sophie racontait cela à notre oncle qui en paraissait très-touché, d’autant qu’elle faisait semblant de pleurer. Allez, ma mère, M. Thorpe, ayant perdu son héritier naturel, n’en prendra pas un autre qui peut mourir d’un moment à l’autre. Ne le pensez-vous pas ?

— Pourquoi parlez-vous ainsi, Algernon ? d’abord vous allez très-bien dans ce moment, et ensuite il n’est pas charitable de me dire ces tristes choses.

— Quoi ! mère, pensez-vous donc que je mourrai plus tôt parce que Sophie Martin branle la tête et fait semblant de pleurer ? je vous dis seulement que j’ai déjà remarqué bien des choses, et que ce n’est pas à moi que M. Thorpe laissera sa fortune. »

En disant ces mots, Algernon n’avait pas quitté des yeux le groupe des quatre jeunes filles. Tout à coup, à une réponse de Sophie, il se prit à rire de si bon cœur que sa belle-mère l’interrompit brusquement.

« Eh bien ! mère, je consens à reprendre mon air grave, à condition que demain vous m’écouterez et me laisserez vous raconter, ainsi qu’à notre chère Florence, tout ce qui se passera pendant et après notre séjour ici. Je n’en parlerai pas à papa, parce qu’il me gronderait.

— Et vous n’avez donc pas peur de moi, Algernon ?