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— Certainement que je ne croirai jamais une chose semblable, » répondit M. Thorpe en changeant la conversation et en tournant le dos à Algernon.

Cependant, quoi qu’il fît pour ne plus y penser, Cornélius Thorpe ne pouvait oublier que son favori avait été assez sans cœur pour calomnier sa pauvre cousine. Cette injustice diminuait même son ressentiment contre l’orpheline de toute la colère qu’elle attirait sur Algernon. Sa conviction était que Sophie s’était engagée depuis longtemps avec M. Brandenberry, et qu’elle avait profité de la liberté qu’on venait de lui rendre pour aller épouser celui qu’elle aimait de longue date sans l’autorisation de ses tuteurs. Tout ceci avait une apparence de vérité, et, quoique peu correcte, la conduite du jeune homme n’était pas absolument immorale et n’attaquait pas son honneur. Aussi M. Thorpe en voulait-il beaucoup à Algernon d’avoir imaginé que Sophie avait entraîné M. Brandenberry à l’épouser en lui cachant sa véritable position. Cependant il se rappela la scène à laquelle il avait assisté chez le vieil Arthur Giles ; il vit Sophie dévorant d’excellents repas et laissant sa famille manger les mets les plus communs, Sophie se logeant élégamment et confortablement, tandis que les Heathcote couchaient dans un grenier ; Sophie écrasant de son luxe la jolie et pauvre Florence ; Sophie humiliant mistress Heathcote, brusquant le major, maltraitant les enfants, poursuivant Algernon de sa haine, flattant le riche M. Jenkins : et de souvenir en souvenir, M. Thorpe arriva à accepter plus tranquillement les soupçons d’Algernon, qu’il avait d’abord repoussés si brusquement. En réclamant son héritage, M. Thorpe avait eu l’intention de donner dix mille livres sterling à Sophie, malgré son peu de sympathie pour elle ; mais il résolut avant tout de savoir si réellement celle qui avait porté le nom de Thorpe avait aussi indignement trompé un honnête gentleman.