Page:Trollope - La Pupille.djvu/186

Cette page a été validée par deux contributeurs.

blaient devoir assurer sa tranquillité ; mais l’homme propose et Dieu dispose.

Le matin même dont nous avons décrit les événements, Sophie s’étant mise à table avec un appétit qui commençait à devenir exigeant, à l’instant où elle prenait son couteau pour couper un excellent pain cuit exprès pour elle, la porte s’ouvrit brusquement, et la petite tête chauve de M. Jenkins parut devant elle. Rien n’aurait pu exciter à un plus haut degré la colère et la surprise de Sophie ; elle avait vu le monstre, comme elle appelait M. Jenkins, s’en aller avec lord Broughton, et ne pouvait comprendre comment il avait quitté son compagnon de voyage pour revenir chez elle. Elle n’imaginait pas non plus comment il se faisait qu’il eût pu entrer sans être vu de personne, monter à son appartement et arriver chez elle sans difficultés, même jusque dans sa propre chambre.

Voici maintenant les circonstances qui avaient amené cet incident inexplicable :

En arrivant à l’endroit où le groom de lord Broughton tenait les chevaux, M. Jenkins, qui était encore un petit homme très-actif, saisit vivement la bride du sien, sauta en selle et partit au galop, sans même se retourner pour voir si Sa Seigneurie le suivait. Il atteignit ainsi la grille et fut rejoint par son noble ami pendant le temps que le portier mit à ouvrir.

« Ah çà ! n’êtes-vous pas un peu fou, monsieur Timothée Jenkins ? s’écria le comte en riant aux éclats. Aussi vrai que j’espère vivre longtemps, je suis sûr que vous courez ainsi parce que vous n’osez me regarder en face. Tenez, Timothée, avouez qu’aujourd’hui, peut-être pour la première fois de votre vie, vous êtes honteux de vous-même.

— Tout espoir de pardon est-il donc perdu pour moi ? s’écria vivement M. Jenkins ; si cela est, puissé-je ne