Page:Trollope - La Pupille.djvu/180

Cette page a été validée par deux contributeurs.

passionnée. Il y a tant de candeur dans vos actions et dans vos sentiments ! Ah ! vous me ravissez ! Oui, chère amie, il sera fait ainsi que vous le désirez ; je mettrai votre conscience à l’abri de tout reproche en dévoilant le secret que vous gardez si fidèlement. Mais, tendre Sophie, vous ne pouvez encore savoir, continua M. Richard en enfonçant chacune de ses paroles comme des épingles dans le cœur de l’héritière, l’effet que produit sa beauté sur tous les hommes qui sont ici. Croiriez-vous que cette jeune fille, simplement habillée de blanc, qui me paraît à moi, dont le cœur est charmé par une autre, fort ordinaire, et m’est, je vous assure, tout à fait indifférente, pendant tout le temps que vous dansiez avec M. Jenkins et que je vous suivais avec adoration, était tout autour de moi l’objet de l’admiration générale ? On ne s’occupait nullement de vous, à peine vous voyait-on, tandis que chacun parlait d’elle, de cette merveille de jeunesse, de grâce, de beauté et de simplicité, et les hommes les plus nobles et les plus recherchés assuraient qu’elle était destinée à faire l’ornement des bals et le tourment des cœurs sensibles. »

L’héritière ne perdait pas un mot de ce récit ; elle se mordait les lèvres avec rage pour ne pas éclater. Quoi ! sa fortune, son nom, son argenterie, ses bois et ses diamants, tout était effacé par le minois d’une petite cousine sans dot !

Il est peu probable que cette confession ait été aussi favorable à M. Brandenberry qu’il l’avait espéré ; mais elle n’en produisit pas moins un effet incroyable sur Sophie. Une nouvelle passion naissait déjà sourdement au fond de son cœur, et elle quitta le bal en lançant des regards de feu sur sa jolie cousine, toute joyeuse encore des plaisirs de la soirée.