« Ciel ! s’écria tout à coup M. Brandenberry, ai-je bien pu venir jusqu’ici ? Que faire, mon Dieu ! Moi qui devais être prêt de bonne heure pour aller dîner avec ma sœur chez nos plus riches voisins ! Que faire ! Il y a si loin d’ici chez nous par la grande route ! Oh ! miss Martin Thorpe, que vous seriez bonne de me prêter votre clef ; je rentrerais en traversant votre parc.
— Mon page va vous reconduire, monsieur, » répondit Sophie avec grâce : car elle pensa qu’il valait mieux ne pas se dessaisir de son passe-partout aussi légèrement.
Mais tout à coup une pensée traversa son esprit : elle mourait de faim, et, en se rappelant que Jem devrait faire le tour du bois avant de mettre le couvert, elle craignit de retarder l’heure du dîner. Se retournant alors vers M. Brandenberry qui s’éloignait suivi du page, elle s’écria en le rappelant :
« Je crois, mon cher monsieur Brandenberry, que vous feriez mieux, en effet, de prendre la clef pour vous en aller. Vous voudrez bien me la renvoyer ce soir. »
Le jeune homme de quarante ans lui envoya un sourire de reconnaissance, car elle venait de combler un de ses vœux les plus chers, et congédiant le page, il partit comme un trait à travers ces bois épais qu’il enviait tant à la jeune héritière. En les traversant, il les admirait encore et se disait que, malgré la laideur et la méchanceté de leur propriétaire, il était prêt à échanger par un contrat sa liberté, son respect et son obéissance, contre le bien-être dont elle jouissait.