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Vers son Père lointain et la nature vide,
Il laissa s’échapper de sa bouche livide
Ces mots : « Mon Dieu, pourquoi m’avoir abandonné ! »
Mais comme retombait son front, le condamné,
Du regard que filtraient ses paupières mourantes,
Sous la croix aperçut trois figures pleurantes,
Trois grands deuils par sa mort produits et rapprochés,
Et sur ce dur calvaire aux stériles rochers,
Trois sources de pitié ruisselante, intarie.
Il les connaissait bien : c’étaient les trois Marie :
Celle que du doux nom de mère il appela,
Et celle qui grandit au bourg de Magdala,
Et celle qui naquit au bourg de Béthanie.
Douces comme un tercet de quelque litanie,
Elles laissaient monter vers le cher mutilé
Le souffle alternatif, de leur âme exhalé.
Ô triple fleur d’amour à la pieuse haleine !
Chacune à sa façon parfumait. Madeleine,
La femme aux blonds cheveux, les déroulait encor
Sur les genoux du Christ ainsi qu’un linceul d’or ;
Et la sœur de Lazare, en extase, en silence
Regardait ; et le sein percé d’une âpre lance
Vous connûtes alors, Reine des Sept Douleurs,
L’infini des pitiés et l’infini des pleurs !
L’agonisant alors eut l’âme rafraîchie,
De voir cette suave et touchante élégie
Qui s’enlaçait autour de l’arbre de la croix ;
Et le Fils, oubliant ses terribles effrois,
Trouvait doux maintenant de s’en aller au Père,
En des soupirs de sœurs et des larmes de mère.