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ment dans cette question vitale, l’irresponsabilité de ses officiers, les dilapidations déplorables des fonds publics, le gaspillage honteux des terres appelées nationales, les prétentions intolérables du pouvoir à disposer des deniers prélevés sur le peuple sans le consentement de ses représentans, les prévarications scandaleuses dans l’administration de la justice, déterminaient une opposition générale de jour en jour plus menaçante. Lorsque la chambre des communes, sur la demande de lord John Russell, eut en quelque sorte sanctionné le pillage de leurs deniers, les Canadiens se préparèrent à repousser cet attentat à leurs droits. Des réunions nombreuses de paroisses et de comtés envenimèrent le ressentiment général. Lord Gosford eut le tort d’attribuer ces symptômes aux manœuvres de quelques brouillons, et de croire arrêter le mal avec des proclamations appuyées par les mandemens de l’évèque catholique de Montréal ; mesures inutiles et imprudentes qui n’eurent d’autre résultat que d’affaiblir le sentiment religieux par le discrédit du clergé. Tel était l’état des esprits dans le Bas-Canada à l’époque de l’assemblée politique de St. Charles, où se trouvaient réunis les cinq comtés de Richelieu, Rouville, Sainte-Hyacinte, Verchères et Chambly, et les représentans du district de Montréal.

— Laissez passer la justice du peuple ! s’écria un Canadien en désignant le mannequin dont les oscillations répondaient aux secousses imprimées à la corde.

Pœna pede claudo ! reprit un lettré.

— Mylord ! s’écria un troisième d’une voix forte en s’adressant à l’image de supplicié, vous vous êtes rendu coupable de lèze nation en opprimant le peuple contre toute vérité. Pour ce crime, nous vous donnons aujourd’hui un avertissement salutaire. Profitez-en, mylord, ou gare la corde ! En attendant, voici le cas que nous faisons de vos proclamations.

— Et des mandements des prêtres qui trahissent le peuple, ajouta un nouvel interlocuteur.

À ces mots, un paquet d’imprimés fut lancé dans la foule qui les lacéra aussitôt et s’en distribua les morceaux comme autant de trophées.

Les cris, les quolibets, les insultes continuèrent au milieu des groupes qui s’ébranlaient pour se rendre en dehors du village à un emplacement spécialement destiné au meeting. En ce moment, M. de Hautegarde, qui regardait d’un air préoccupé le mouvement général, sentit une main furtive s’appuyer sur son bras.

— Vous ici, Alice ? demanda-t-il aussitôt avec inquiétude.

— Venez ! venez ! dit la jeune fille en l’entrainant vers une maison voisine.

Ils traversèrent rapidement la cour encombrée ci s’arrêtèrent sous le vestibule.