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La rumeur qui s’éleva en ce moment fit frisonner les spectateurs du meurtre juridique. Les condamnés apparaissaient au pied des instrumens de mort. Leur contenance était calme et ferme ; ils promenèrent un regard de mépris sur quelques groupes d’où partaient des hurlements de haine promptement éteints dans le silence général. Au premier coup-d’œil, on reconnut le Français qui cachait son nom véritable sous celui de Durand. Tourné vers la multitude, il lui adressa d’une voix ferme quelques mots qui ne parvinrent cependant pas jusqu’au groupe éloigné dont nous avons suivi la marche. Quand le bourreau lui passa le nœud fatal autour du cou, il poussa par trois fois un cri de liberté, — et se tut pour toujours !…

C’est ainsi qu’ils moururent tous, sans crainte ni remords, en hommes de foi, comme les martyrs de toutes les nobles causes.

Le Canadien qui avait reconnu le jeune proscrit se retourna aussitôt pour l’entraîner loin de le scène lugubre qu’ils avaient sous les yeux ; mais il avait disparu dans la foule.

— Qu’est devenu ce jeune homme ? demanda-t-il à ses voisins.

Aucun d’eux ne le savait.

— Qui est-il ? lui dit-on.

Il se pencha à l’oreille de l’un de ceux qui l’entouraient, et nomma Laurent de Hautegarde.

— C’est lui ? s’écria ce dernier. Je sais donc où il est allé ! que ne l’avez-vous empêché de continuer sa route ?

— Et pourquoi ?

— C’est que, reprit le Canadien en baissant la voix, il est venu pour voir Alice Mac Daniel, et elle est morte cette nuit !

— Courons, dit l’autre vivement ; nous le rejoindrons peut-être à temps.

Il se trompait. Arrivés devant la maison mortuaire sans l’avoir aperçue, et redoutant quelqu’acte insensé de sa douleur, ils demeurèrent près de la porte, se promenant aux environs sans la perdre de vue. Ce fut encore en vain ; ils ne revirent plus le jeune chef des rebelles.

Cependant, le lendemain, un bruit étrange, mystérieux se répandit dans le public de Montréal. On parlait vaguement de cercueil décloué, d’adieux déchirans, et d’une veillée de mort signalée par les actes extravagants d’un désespoir sans ressource. Les noms d’Alice et de Laurent étaient prononcés en secret et chacun signalait quelques détails de l’histoire mélancolique de leurs amours. La pauvre enfant ne s’était jamais relevée du coup terrible que lui porta la mort de son frère, barrière insurmontable et éternelle entre elle et celui qu’elle aimait. Comme toutes les femmes atteintes mortellement au cœur, elle avait langui pendant quelques mois, étudiant avec joie les progrès de la maladie qui marchait à pas de géant. Car la mort, c’était la déli-