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— Un jour, sans doute, le peuple qui protège les proscrits, marchera au secours des opprimés.

— Ce jour là sera celui de la liberté !

Ils étaient arrivés, en causant ainsi, non loin de la prison neuve dont un rassemblement tumultueux encombrait entièrement les abords. Ils s’arrêtèrent, et le jeune homme qui les suivait, levant les yeux, n’eut plus aucun doute sur le hideux spectacle qui attirait la foule. Les apprêts funèbres des exécutions capitales étaient dressés au-dessus de la porte d’entrée et du mur d’enceinte de la prison.

Il comptait les gibets quand une voix dit près de lui :

— Voyez cet homme ! c’est lui qui dans un journal de Montréal a demandé avec tant de passion la mort des prisonniers patriotes, lui qui a osé écrire « qu’il n’était pas besoin de les engraisser tout l’hiver pour l’échafaud ! »

L’inconnu leva les yeux et aperçut un homme qui s’agitait dans la foule parmi quelques misérables dont il semblait exciter la haine contre les condamnés. C’était le conseiller Barterèze.

— Il doit être satisfait, dit quelqu’un, car celui contre lequel il montrait l’animosité la plus sanguinaire va mourir.

— Qui va mourir ! demanda brusquement le jeune homme au capot.

— Ne le savez-vous pas ? répondit le Canadien étonné. Ce sont des patriotes.

— Et leurs noms ? leurs noms ?

— Je ne sais, répondit prudemment l’homme interpellé, dans la crainte de parler à quelque parent ou quelqu’ami des victimes. Tout ce que je puis vous dire, c’est que parmi eux est un Français nommé Durand.

— Durand !

Cette exclamation fit retourner la tête à quelques assistants. L’un d’eux laissa échapper un geste de surprise, et se plaçant devant l’étranger comme pour le dérober aux regards :

— Vous ici, et à pareil moment ! dit-il à voix extrêmement basse.

— Je ne sais ce que vous voulez dire, lui fut-il répondu.

— Je vous connais mieux que vous ne me connaissez, reprit le Canadien du même ton. Au nom du pays et de vos amis, retirez-vous.

— Non ! répondit le jeune-homme ; j’ai déjà vu la mort de plus près.

— Mais pas de la main du bourreau, reprit l’inconnu. Partons, croyez-moi.

À ce mot, le proscrit se sentit froid au cœur ; mais il demeura immobile, et pour toute réponse montra froidement sous son capot la forme d’une crosse de pistolet. Le patriote comprit toute l’énergique signification de ce geste du gentilhomme.