Page:Trobriand - Le rebelle, 1842.djvu/34

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

annonça le moment du danger le plus grand. Un coup de feu brisa les vitres de la fenêtre qu’il venait de quitter. — La balle traversa l’appartement, et s’alla loger dans le couronnement du lit où Alice résignée attendait en silence le dénouement de cette scène.

Nous n’essaierons pas de descendre dans les mystérieuses profondeurs d’un cœur de femme pour décrire les douloureuses agitations qui torturaient celui d’Alice. Elle savait bien (personne ne le lui avait dit cependant) que Laurent de Hautegarde était parmi les rebelles, au plus fort du danger, au plus épais de la mêlée ; là était son âme. Mais son père veillait sur elle, prêt à donner sa vie pour lui éviter la moindre violence — là était sa raison. — Problème étonnant et insoluble de l’amour qui, souvent dans quelques mois, quelques jours, quelques heures peut-être, peut aveuglément s’emparer d’un cœur, sans laisser place pour les sentiments que la nature et l’éducation y avaient implantés d’abord.

— Lui mort, se disait-elle, je mourrai.

Puis songeant à sa fatale destinée, elle en venait à se demander :

— Lui vivant, pourrai-je vivre sans lui ?

Pauvre enfant qui n’avait de pensée que pour son amant, et qui pourtant aimait sincèrement et religieusement son père.

Ainsi, sous ce toit si calme en apparence s’agitait un drame intérieur plus sombre et plus désespéré peut-être que la désolation qui étendait ses ravages au dehors.

L’incendie annonça l’arrivée et la marche des troupes anglaises dans le village qui offrit dès lors les horreurs d’une place prise d’assaut dans les siècles barbares. Malgré ses opinions connues, la maison de Mac Daniel fut violée comme les autres, et ce ne fut qu’à l’énergique intervention d’un jeune officier qu’il dut d’échapper à des dangers personnels et de voir sa fille à l’abri des outrages d’une soldatesque échauffée par le combat…

Mac Daniel quitta St-Charles le lendemain emmenant avec lui dans une voiture couverte sa sœur que les événements de la veille avaient accablée, et sa fille que dévorait une fièvre ardente. Les angoisses de l’âme hâtaient en elle la destruction des sources de la vie. Où était Laurent ? — proscrit — blessé — mort ! Il n’y avait pas d’autre alternative.

Le trajet de la voiture à travers le village fut navrant. Dix-huit maisons ou granges étaient réduites en cendres, et n’offraient qu’un amas de ruines. Les habitations respectées par le feu portaient toutes les traces du plus complet désordre, sinon du pillage le plus honteux. La majeure partie était abandonnée de leurs habitans enfuis pour échapper aux violences qu’ils redoutaient. La voiture passa devant l’église, et ce fut avec une douleur profonde que le vieil Irlandais en-