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VIII.


Le bruit du combat avait, comme on le pense bien, de terribles échos dans le village de St. Charles où tant de famille éplorées demandaient à Dieu la conservation qui d’un père, qui d’un frère, qui d’un fiancé, — car la majeure partie des habitants était au manoir.

Assis auprès du lit de sa fille, le vieux Mac Daniel écoutait d’un air d’inquiétude le bruit de la mousqueterie, s’efforçant d’après sa force et sa durée de suivre les chances probables du combat. Il se levait à chaque instant pour chercher au-dehors à travers les croisées fermées des renseignements que ses opinions connues l’empêchaient de demander directement aux gens qui passaient. Les uns couraient armés dans la direction du manoir d’où nombre d’autres arrivaient sans armes et consternés. Ils s’interrogeaient mutuellement, puis, selon leur courage, leur dévouement et les nouvelles qu’ils apprenaient en route, continuaient leur marche ou rebroussaient chemin.

Cependant, les femmes et les enfants augmentaient la confusion par leurs terreurs et les cris arrachés à leur désespoir. Chaque nouveau survenant était environné d’une foule désolée. — Où en était le combat ?

— Qui était vainqueur ? — Quels étaient les blessés ? — Et les uns s’arrêtaient un instant pour satisfaire à tant d’impatiences douloureuses — d’autres au contraire jetaient quelques réponses sinistres et continuaient leur course pour sauver de la scène de désolation qu’ils prévoyaient les êtres les plus chers, ou les objets les plus précieux. — De moments en moments les nouvelles alarmantes se succédaient avec plus de rapidité, et bientôt le nombre des fuyards ne laissa plus de doute sur la défaite des Canadiens.

On comprend avec quel intérêt le père d’Alice suivait tous ces mouvements. Sa vie, celle de sa fille même ne couraient-elles aucun danger au milieu d’une population hostile, exaspérée par le combat, enivrée de poudre de sang, rendue furieuse peut être par une défaite.

La maison muette et sombre comme un tombeau, attirait d’ailleurs l’attention par son contraste avec toutes les autres où régnait la plus effroyable confusion. Cent fois des imprécations étaient arrivées jusqu’au vieillard, et sous le fragile abri des persiennes fermées avec soin, il avait aperçu des gestes menaçants. Mais ce n’était pas pour lui qu’il tremblait intérieurement. Que lui importait une vie flétrie déjà par les chagrins, dévastée par la mort d’êtres bien aimés ! Sa fille, voilà quel était son unique pensée. Aussi, déterminé à la protéger jusqu’à la dernière goutte de son sang, il saisit ses armes et se plaça en travers de la porte au moment où le signal de la déroute lui