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Il finissait à peine ces mots que les troupes ébranlés s’élancèrent au pas de charge sur les retranchements. En un instant toute cette partie de la ligne fut enveloppée d’une épaisse fumée au milieu de laquelle comme une ceinture d’éclairs brillaient les explosions d’armes à feu ; les détonations se succédaient avec une rapidité pareille au pétillement de la grêle sur les toits. Les clameurs des combattants augmentaient le bruyant tumulte de cette scène que les cris et les imprécations des blessés, la chute des morts commençaient à revêtir d’une teinte funèbre. Bientôt les coups de feu devinrent moins nourris ; une bouffée de vent en emportant la fumée leva le rideau qui recouvrait la scène de carnage, en dérobait les détails, et le spectacle d’un retranchement enlevé à la baïonnette s’offrit dans sa magnifique horreur. Aux grandes clameurs, au tonnerre des explosions avait succédé un silence bien plus effrayant. La mort moissonnait à larges fauchées parmi les hommes pressés comme des épis. Autour des chefs, sur quelques points, les cadavres couvraient le sol rougi de sang et jonché d’armes brisées ; les uns tombaient renversés au pied des retranchements qu’ils escaladaient ; les autres parvenus au sommet rejetaient dans l’intérieur les ennemis atteints par le fer, — car le feu avait cessé, et les hommes luttant corps à corps n’avaient ni le temps ni la possibilité de recharger leurs armes. On s’égorgeait donc à l’arme blanche, mais sans bruit, mais sans enivrement, et sur des cadavres couchés près des canons muets. — Cette scène terrible fut heureusement de peu de durée. Les insurgés privés des armes nécessaires à ce genre de combat furent culbutés par les Anglais mieux pourvus et plus nombreux. Le dernier qui resta à son poste dans la déroute générale fut Laurent de Hautegarde. Entouré par l’ennemi, il faisait tête à tous avec une intrépidité qui tenait du délire, frappant sans se lasser et sans daigner faire le moindre effort pour protéger sa vie autrement qu’en combattant avec rage.

— Partons ! dit enfin Durand qui n’avait pas quitté les côtés du jeune chef. La place n’est plus tenable ; tous nos gens sont en fuite. Alors seulement ils s’aperçurent qu’ils étaient enveloppés avec quelques braves qui n’avaient pas lâché pied.

— Frayons-nous un passage, s’écria Laurent en s’élançant le premier. Le choc désespéré de cette poignée d’hommes fit trouée dans les rangs des vainqueurs ; ils passèrent.

— Ah ! dit Laurent en se retournant. — La mort ne veut donc pas de moi !