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prendre les armes, et cette première victime de la rébellion leur présageait le sort réservé sans doute à beaucoup d’entr’eux. Mais cette impression grave et religieuse disparut avec le cercueil qui la faisait naître et le lendemain les habitans de la paroisse en pleine insurrection avaient établi leur quartier-général au manoir de St. Charles dont ils s’étaient emparés à cet effet. Les rebelles se mirent dès l’abord à élever des retranchemens, construire des ouvrages, percer des meurtrières afin de s’y défendre en cas d’attaque. Grâce au zèle ardent des insurgés qui ne se reposaient ni jour ni nuit, ces travaux furent menés à fin autant que le permettaient les ressources, le tems et le peu d’expérience des plus capables.

Mais tous ces préparatifs de guerre, tous ces bruits précurseurs du carnage venaient mourir au seuil de la maison des Mac Daniel. Tout entiers à leur douleurs privées, ils demeuraient étrangers aux malheurs publics qui menaçaient de les envelopper, et rien de ce qui ce passait au dehors ne pénétrait dans cet intérieur que la mort avait déjà visité. Depuis la nuit fatale, Laurent de Hautegarde n’avait pas reparu, non plus que le Français Durand, qui, sur quelques vagues indications était parti à sa recherche. Tous les gens du village commençaient à s’alarmer violemment de l’absence prolongée de ce jeune chef dont le nom, les talens, et la bravoure personnelle étaient si nécessaires à leur cause, lorsque dans la matinée du 21 novembre, le bruit se répandit qu’ils étaient tous deux de retour. L’affluence au camp fut plus considérable que les jours précédens ; mais plongé dans une douleur farouche Laurent de Hautegarde s’était renfermé sans voir personne, laissant à son compagnon de route le soin de divulguer les heureuses nouvelles dont ils étaient porteurs. En effet, ils venaient du village de Saint-Denis, où, la veille, un corps de Canadiens retranchés avaient battu 400 hommes commandés par le colonel Gore qui fut contraint dans sa retraite précipitée d’abandonner aux insurgés canons, bagages, munitions, morts et blessés.

Les détails de cette victoire excitèrent l’enthousiasme dans le camp de Saint-Charles ; ce ne fut bientôt plus partout que cris de triomphe, appels aux Anglais, chants et rires. Le vieux sang français se révélait chez les Canadiens à l’odeur de la poudre, le lendemain d’une victoire, hélas ! et la veille d’une défaite

— Maintenant, dit Durand à un jeune officier qu’il emmena à l’écart, où en êtes-vous ici ?

— Nous en sommes encore à l’enthousiasme, comme vous le voyez répondit-il en souriant légèrement ; mais nous manquons d’argent, de vitres, d’armes et d’organisation. Quand nos hommes croient le moment de combatte venu, ils arrivent par bandes et affluent de tous côtés. Bientôt ils se lassent d’attendre, et repartent peur revenir encore