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ce tumulte. Elle est si effrayée, si vous saviez ! votre présence la rassurera. Faites cela pour elle.

Et elle cherchait à l’entraîner vers une chambre voisine, n’osant le regarder trop en face de peur qu’il ne devinât ce chaste mensonge qui lui faisait parler de sa vieille tante quand il ne s’agissait que d’elle et de son amour alarmé.

— Je ne saurais, dit-il ; on m’attend là-bas ; on compte sur moi. Vous ne voudriez pas, Alice, que l’homme que vous aimez manquât à ses devoirs envers son pays, envers sa religion, envers ses frères.

— Mais, dit-elle avec conviction, en quoi l’assemblée a-t-elle rapport à tout cela ?

Le raisonnement d’une femme qui aime est toujours d’un égoïsme naïf. Elle ne comprend rien dans la vie qui soit absolument indépendant de son amour. Toutes ses facultés tendues vers ce seul objet, tous ses jours, toutes ses heures tournant éternellement dans ce tourbillon qui entraîne le reste, sa logique n’est plus que l’unicité simple d’une pensée sans rivale. Aussi lorsque Laurent de Hautegarde s’efforçait de prouver à Alice la nécessité pour lui de prendre part aux actes politiques qui troublaient le Bas-Canada, incrédule à tous les raisonnements, elle en revenait sans cesse à cette inflexible réfutation :

— Si vous m’aimez, vous resterez pour moi.

Déjà elle ne parlait plus de sa tante. Plus étonnée de le voir persister dans sa résolution, elle ajoutait de cette voix dont un sentiment profond affaiblit l’éclat :

— Je sais que vous devez aujourd’hui parler à cette foule. — Je sais qu’elle vous considère comme un de ses chefs pour la diriger par vos opinions, et peut-être un jour la conduire par vos actes. — Votre ambition peut sourire à cette espérance ; mais songez vous que c’est me perdre sans ressource ?

Cette considération suprême ébranla le jeune homme. Elle s’en aperçut avec la perspicacité d’une femme qui désire ardemment, et elle continua :

— Mon père n’a d’autres objections à notre mariage que l’exaltation de vos opinions dans une voie politique opposée à la sienne.

— Et mon origine française.

— Ne lui supposez pas de tels préjugés, dit-elle avec feu. Il rend justice à toutes vos qualités ; mais son amour paternel s’effraie de voir sa fille à jamais attachée à la destinée d’un homme que son fanatisme peut exposer un jour à de grands revers. Abandonnez la route dangereuse, sans issue, que vous suivez, et il vous ouvrira ses bras. Vous retrouverez en lui cette affection qu’il prodiguait à vos jeunes années et que vous avez eu le tort de vous aliéner par la fierté indomptable de vos principes. Voyez où cela nous a tous conduits. Au lieu de