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conditions légales, et adopter un autre enfant, il lui eût fallu primitivement supprimer tous les siens, et recommencer sa collection.

IV

Cependant, le ciel le bénit. La santé de ses enfants demeura florissante, et il vivait en paix, tel un patriarche, au milieu de cette famille de bric-à-brac.

On le rencontrait assez souvent dans le monde, dans les salons académiques et les diverses ambassades, où il aimait à vanter sa petite famille.

Un soir, au fumoir, Le Blafard ricana.

— Pas très complète, tu sais, ta fameuse collection ? Il y manque un numéro important.

— Je voudrais savoir lequel, riposta Lartilleur d’un ton très assuré.

— Il y manque, continua l’autre, un enfant posthume.

Lartilleur blêmit à cette parole.

— Et prends garde, acheva froidement Le Blafard ; à supposer que tu meures subitement, sans que ta femme soit grosse, il est à présumer que l’enfant posthume manquera toujours à la série. D’autre part, si tu la fécondes et si tu oublies de mourir, tu seras père de deux enfants légitimes. Un numéro double : triste gaffe pour un collectionneur !

Lartilleur se leva d’un trait. Il passa dans un salon voisin, où sa femme jacassait paisiblement avec des dames du haut monde, et, d’un ton impératif :

— Adèle, rentrons chez nous. Illico !

Quelques temps après, nous apprîmes que Lartilleur s’était mortellement blessé en jouant avec une arme à feu, dont il avait