Ce n’est pas tout. Figure-toi que la jeune fille trouvée, qui a déjà vingt-trois ans, et qui est très pure et très chaste, aime un jeune officier de marine nommé Léonard. Quant à elle, on ne connaît pas son vrai nom, mais Claude Fatal l’a appelée Glorieuse, parce que, le soir où elle a été trouvée dans la neige, c’était la date anniversaire d’une des trois journées de 1830.
M. Balbus a écouté distraitement cette histoire, ayant pour le moment d’autres préoccupations. Les malheurs de Claude Fatal l’intéressent peut-être moins que certaines particularités anatomiques de Mme Balbus. Quelques minutes après, quand la bonne apporte le journal, les deux époux sont étendus côte à côte. Ils ne disent mot et paraissent sommeiller.
Mme Balbus (non sans langueur). — Auguste ? Lis-moi le feuilleton, dis ? Tu es plus près de la fenêtre.
Balbus jette d’abord un coup d’œil rapide sur les derniers cours du soir et sur les nouvelles de Madagascar. Puis il entame la lecture du 46e feuilleton de la Duchesse Poison.
Balbus (lisant). — « Glorieuse s’était levée de bonne heure, ce matin-là. Un gai soleil entrait par la fenêtre aux rideaux de mousseline dans la chambre virginale. La jeune fille s’habilla pour descendre au jardin et, comme elle allait sortir, elle se souvint qu’elle avait oublié de se laver, depuis deux jours, le visage et les mains. Elle passa rapidement un linge mouillé sur son nez et sur ses oreilles. Soudain, elle sentit qu’on la saisissait à la taille. C’était Claude Fatal, le brave docteur. Il appuya sa bouche édentée sur les lèvres de Glorieuse et lui donna un baiser prolongé… »
Mme Balbus. — Non, il n’y a pas ça…
Balbus. — Regarde toi-même !