Soudain Rosalie me saisit le bras et me montra au troisième rang de l’orchestre le monsieur grisonnant que je l’avais vue rejoindre la veille, à la gare Saint Lazare :
— Mon mari !
Elle dit simplement : Mon mari ! et non pas : Ciel ! mon mari : comme les dames ont l’habitude de le faire, dans les romans, en semblable circonstance.
Bien qu’ennuyé moi-même, je pris un air dégagé et je rassurai Rosalie. Nous étions bien cachés au fond de la baignoire, isolés dans notre pur amour par un treillis de bois doré. Elle était triste et agitée. Je lui proposai de partir pendant un acte, mais les Remords d’Alberte, au cours de la scène III du 2, nous parurent tellement poignants que nous attendîmes la fin, désireux de voir la pauvre héroïne débarrassée du lourd fardeau qui opprimait son âme.
Au cours du troisième acte, nous travaillâmes une seconde fois par conscience et sans ardeur au déshonneur du Monsieur de l’orchestre.
À la fin du spectacle, nous laissâmes les vingt-trois spectateurs réclamer paisiblement leur vestiaire, et nous attendîmes dix bonnes minutes dans la baignoire. Mais la fatalité voulut qu’à notre sortie le mari fût encore devant la porte. Nous nous trouvâmes nez à nez avec lui. Qu’allait-il se passer ?
Il ne se passa rien. Il affecta de ne pas nous voir. Je fis monter Rosalie hébétée dans une voiture. Elle poussait des petits sanglots réguliers, et répétait : « Mon Dieu, qu’est-ce qu’il va me dire en rentrant ! Mon Dieu ! qu’est-ce qu’il va me dire en rentrant ? »
Elle me promit en me quittant un rendez-vous pour le surlendemain et des nouvelles le plus tôt possible. Je ne reçus rien et elle ne vint pas. Les journaux cependant ne relatèrent aucun drame conjugal dans la banlieue ouest. L’affaire était-elle classée ?