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autres était né du regard même et du sourire resplendissant de Dieu.

Tous les esprits se prosternèrent en naissant ; celui-là seul resta debout, et il était triste, car dans le rayon du regard de Dieu qui l’avait formé il y avait eu un éclair de liberté et une étincelle de puissance.

Dieu regarda alors ce bel ange avec l’amour jaloux que plus tard connurent les mères, et lui dit : Pourquoi es-tu triste ?

— Parce que je vois ta gloire qui me force à t’adorer, répondit Lucifer, et je t’aime d’un trop noble amour pour être jamais ton esclave !

Aussitôt le Seigneur retira à lui son vêtement d’azur parsemé d’étoiles, et l’étendit entre son visage et celui de l’ange trop aimé. Une nuit profonde enveloppa la nature naissante, et l’étoile qui scintillait sur le front de Lucifer illumina seule les ténèbres, et lui montra la profondeur de sa solitude. L’ange de la lumière pleura ; mais il releva triomphant ses yeux baignés de larmes ; il serait malheureux, mais il était libre !

Près de lui, sur une roche, aride et désolée, ossement du vieux chaos mis à nu par ces convulsions récentes, était assis un autre ange qui le regardait, et qui pleurait en le regardant avec un douloureux sourire.