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tire du néant ? Mais le Christ que tu as appelé ton Dieu n’a-t-il pas parlé, il y a bientôt deux mille ans, et après t’être remué comme une fange chauffée au soleil et qui bouillonne à sa surface, n’es-tu pas retombé dans ta froide et plate inertie !

Oh ! que je comprends bien l’agonie sanglante du Christ au jardin des Olives, où il veillait seul tandis que ses confidents les plus intimes dormaient ou le trahissaient ! Et ce cri déchirant, terrible, désespéré, que du haut de sa croix il laissa tomber sur le monde comme un adieu éternel :

« Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Oh ! oui, je te comprends, pauvre prophète des parias, à qui les riches veulent bien permettre d’être le Dieu du peuple, à condition que tu prêcheras d’exemple par ta résignation dans ton supplice, et que le peuple se laissera flageller et crucifier comme toi !

On nous dit que le Verbe a créé le monde et que tu étais l’incarnation du Verbe : je le crois, et c’est en toi que j’espère encore ; mais tu n’as pas créé pour nous la liberté ni le bonheur, et ils t’ont fait mourir, et depuis dix-huit cents ans et plus ils triomphent et renouvellent sans cesse ton supplice !