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ferez-vous pour lui ? — Ah ! je l’avais deviné depuis longtemps, le peuple n’a rien à attendre de vous. La prospérité vous enivre, l’habitude des voluptés et des remords vous fait craindre l’ennui des idées sérieuses : ce peuple vous est à dégoût et vous ne lui pardonnez pas d’être malheureux et d’avoir faim !

N’est-ce pas, mes gros financiers aux joues si vermeilles et si rondes, aux lèvres encore luisantes des vins délicieux que vous venez de boire ; n’est-ce pas que ce peuple est laid avec ses yeux caves, son teint blême et ses joues creuses ?

N’est-ce pas, mesdames les prostituées honnêtes, c’est-à-dire riches, puisque ces deux mots, comme on le sait, sont synonymes depuis longtemps ; n’est-ce pas, jolies syrènes satinées, dorées et ambrées, que ce peuple sent mauvais et qu’il fait mal au cœur avec ses haillons ? Que demande-t-il donc et pourquoi l’a-t-on laissé entrer ? — Il n’y a rien ici pour lui. — Il veut du pain ? Dites-lui qu’il n’y en a pas. Mais, laquais, chassez-moi donc ces gens-là et donnez du sucre à ma pauvre levrette qui s’enroue à aboyer contre eux !

N’est-ce pas, vous tous, les élus de la mangeaille, de la buvaille, de la valetaille, ventres toujours repus et toujours avides, enflés d’orgueil et rassasiés d’infamie ; n’est-ce pas que ce peuple est