Page:Trent - Litterature americaine.djvu/258

Cette page n’a pas encore été corrigée

250 LA PÉRIODE LOCALE (1830-1865)

blement, victime de l’infortune et de sa folie, à un âge auquel, dans de plus heureuses circonstances, il eût pu être à l’apogée d’une carrière magnifique. Peu de morts, dans les annales de l’humanité, ont offert un caractère aussi tragique. Il n’est pas étonnant qu’à peine disparu on ait commence à discuter sa personne et à échanger à son sujet des jugements contradictoires. Mais il est surprenant qu’un intervalle de plus d’un demi-siècle n’ait pas apporté dans ces discussions un peu plus de charité et un peu moins de partialité.

Vovons maintenant ce que cet homme si infortuné dans sa vie fut au point de vue de l’art ? Doit-on donner raison à ces critiques de l’étranger qui prétendent qu’il apporta h. la littérature universelle un tribut plus important et plus original que tout autre Américain ? Ou bien ceux de ses concitoyens qui disent avec Lowell que Poe, avec son « corbeau », comme Barnaby Rudge, est deux tiers de génie et un tiers de « truquage », sont-ils plus voisins de la vérité ?

Avant de tenter de répondre h ces questions, exposons quelques-uns des motifs de cette embarrassante divergence d’opinions. Les inimitiés que suscita Poe et son existence irrégulière et douteuse indisposèrent beaucoup d’Américains non seulement contre l’homme, mais contre l’artiste. Cette hostilité s’accrut encore du fait que l’école d’écrivains, qui avait prédominé en Amérique pendant deux générations et (ixé les règles de la critique américaine, était restée impuissante h séparer l’art de la morale et assignait même une part prépondérante à cette dernière. Pour cette raison, les principes artistiques directeurs du génie de Poe — « le culte de la beauté » et « l’art pour l’art » — n’ont jamnis été admis par la majeure partie du public américain. Il est pour-