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PIERRE QUI ROULE

LE GIBET

Stanislas Barreau, un Canadien qui avait vaillamment combattu dans l’armée américaine, où il avait pris un drapeau ennemi et conquis le grade de lieutenant, allait être pendu pour un meurtre atroce commis à Laprairie. On avait défendu aux cadets d’aller en uniforme assister à l’exécution publique de ce malheureux. Ils avaient juste le temps d’y aller à condition de ne pas s’attarder à se déguiser en bourgeois. Quelques-uns y allèrent pourtant, entre deux exercices, et les autorités ne firent pas mine de s’en apercevoir. Quéquienne regretta d’avoir assisté à ce triste spectacle que l’intempestive intervention du fameux Grosperrin ne parvint pas à égayer.

Un cordon de police maintenait la foule massée en face de la prison. La cloche sonnait le glas funèbre et le condamné allait paraître accompagné du prêtre et de l’exécuteur des hautes œuvres, lorsque Gosperrin crut le moment venu de vendre la chanson qu’il avait composée pour la circonstance. Il entonna d’une voix forte, sur l’air connu de « Mes jours sont condamnés je vais quitter la terre » sa complainte dont le refrain était :

« Pitié pour mes parents, pitié pour ma famille !
«  Je le sais, j’ai péché ; dressez votre échafaud.
«  Pardonne à ton mari, tendre épouse gentille,
«  Pitié pour mes parents, pardonnez à Barreau ! »

Cela se vendait un sou, mais la recette fut loin d’atteindre les prévisions du savetier-poëte, auquel la police se hâta d’imposer silence. Grosperrin s’en retourna très vexé de voir les autorités le frustrer ainsi de ce qu’il avait considéré comme une excellente aubaine.