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PIERRE QUI ROULE

qui s’étaient donné pour mission de rétablir l’ordre dans la société en détroussant les riches au profit des pauvres.

Quéquienne avait été élevé selon les principes de l’honnêteté chrétienne, et il ne pouvait se complaire à la lecture des exploits de Jack Shepperd, Claude Duval, Dick Turpin et autres voleurs de cet acabit. Ce qu’il en avait lu l’avait complètement dégoûté. Au propre, on peut avoir un peu sali sa robe neuve dans les fossés qui bordent la route du Brûlé de Contrecœur ; mais au figuré, on n’imite pas les cochons désireux de se vautrer dans la boue des ruisseaux lorsque, par l’atavisme et par l’exemple, on a reçu de parents honnêtes le séculaire héritage des traditions religieuses.

Les romans lus par Quéquienne pouvaient lui donner une fausse idée de la vie réelle ; mais pour lui plaire il fallait qu’ils lui servissent des héros dignes d’êtres admis dans la bonne société. Les œuvres d’Alexandre Dumas père ne lui étaient connues que par la traduction anglaise. Il avait trouvé dans les Trois Mousquetaires, publiés sous la rubrique The Three Guardsmen, de quoi alimenter les rêves d’avenir qu’il caressait. D’autres romans, bien anglais. ceux-là, comme « The adventures of a Soldier of Fortune, » faisaient bon marché des engagements contractés par un militaire, et avaient eu pour effet de le persuader qu’il n’était nullement tenu de donner à l’Oncle Sam les cinq ans de service qu’il lui avait promis. Ceci démontre que la lecture des romans n’est pas, ce qu’il y a de mieux pour endoctriner les rêveurs inexpérimentés.

Depuis qu’il était soldat, il n’avait eu que de très rares occasions de parler français, et il en était arrivé à s’exprimer en anglais avec autant de facilité qu’en sa langue maternelle. Naturellement brave, portant