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PIERRE QUI ROULE

L’instabilité des conditions d’existence de la famille Quénoche fut cause que la jeune pédagogue perdit bientôt ses deux seuls élèves canadiens. Quéquienne n’apprit qu’une seule chose à cette école, savoir : qu’il était plus instruit que tous les jeunes Américains de son âge rencontrés à ce dispensaire d’instruction juvénile.

LE 4 JUILLET

À East Douglas, Quéquienne eut pour la première fois l’occasion d’assister à la célébration du 4 juillet. Moins bruyante et surtout moins bouffonne, cette manifestation patriotique lui eût plu davantage. Les parades militaires l’intéressèrent beaucoup plus que le grotesque défilé des « horribles and antiques, » hyperbolique mascarade de farceurs déguenillés, coiffés de chapeaux invraisemblables, brandissant des armes hétéroclites et se livrant à des gambades, à des contorsions peu dignes d’hommes libres commémorant l’indépendance de leur pays.

Les uns soufflaient dans des trompes ou des porte-voix ; d’autres frappaient à tour de bras sur des tambours de basque ou sonnaient de grosses cloches qu’ils tenaient à la main. Véritable orgie de couleurs disparates, de sons incohérents dominés par l’explosion presque incessante de milliers de pétards. Enfin, le dernier masque coiffé d’un couvre-chef orné de deux cornes de bœuf, disparut en chevauchant à rebours une rossinante efflanquée. Quéquienne ayant demandé à quelqu’un ce que ce cornifère prétendait représenter, on lui avait répondu que c’était John Bull, le prototype de l’accaparement et du Rule Britannia per fas et nefas. Ce ne sont peut-être pas les propres paroles dont se servit l’interlocuteur de Quéquienne ; mais c’était quelque chose dans ce sens.