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PIERRE QUI ROULE

On se rencontrait aussi, et très souvent à l’église, que tout le monde fréquentait assidûment. On avait de beaux chevaux, de belles voitures d’hiver et d’été. On se fiançait de bonne heure. Les mariages étaient précoces, surtout chez les femmes. Les deux grand-mères de Quéquienne s’étaient mariées à quinze ans, tout juste à la veille de passer vieilles filles.

Les longues soirées d’hiver réunissaient les campagnards tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre. On jouait aux cartes ; pas à des jeux intéressés, mais à des jeux intéressants. Les femmes apportaient leur tricotage. La maîtresse de céans cardait ou filait. Les hommes fumaient en s’occupant à de menus travaux de vannerie ou de cordonnerie domestique.

On contait des contes, et chacun chantait sa petite chanson. Le poêle à deux ou trois ponts, provenant des forges de Saint-Maurice, était copieusement bourré de bon bois franc. Il ronflait en répandant une chaleur assez intense pour tenir les gens à une distance respectueuse ; mais n’empêchait pas l’eau de geler sur le banc des siaux.

Parfois, l’un des assistants, et plus souvent l’une des assistantes, faisait une lecture édifiante. Malgré l’absence d’écoles françaises subventionnées par les pouvoirs publics, le nombre des illettrés était moins considérable qu’on ne serait porté à le croire. Bon nombre de jeunes filles instruites dans les couvents, dont l’établissement a précédé de beaucoup celui de nos collèges, s’étaient volontairement constituées les institutrices de leurs familles et des familles voisines. Le curé de l’endroit se faisait un plaisir d’enseigner la lecture et les éléments à ses paroissiens jeunes et vieux. C’était l’âge d’or, précisément parce que l’auri sacra fames n’avait pas corrompu nos mœurs campagnardes.