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PIERRE QUI ROULE

bien cher le droit de m’acquitter de mon devoir de citoyen. Ce serait à recommencer que je ferais encore exactement la même chose.

« Dans le cours de l’été de 1871, il y eut dans la province de Québec des élections générales qui eurent pour résultat le triomphe du ministère Chauveau. Dans le comté de Compton, que j’habitais alors, M. Ross, ancien député, était sur les rangs. Il avait pour adversaire M. William Sawyer, marchand de Sawyerville. Tous deux étaient conservateurs.

« La population franco-canadienne du comté de Compton était alors peu nombreuse et l’élément anglophone de ce comté se composait surtout d’Écossais, dans les cantons du nord, et de descendants d’anciens United Empire Loyalists dans les cantons du sud. Les libéraux étaient si clair-semés qu’une candidature libérale eut été hors de question. C’était entre conservateurs que la lutte se faisait.

« C’était l’ère des grandes entreprises de chemins de fer à lisses de bois. Chaque localité voulait avoir son petit bout de voie ferrée, ou boisée selon le cas, construite au moyen de subventions municipales et provinciales. C’était, sinon l’âge d’or de la Confédération, du moins l’âge du bois ou du fer. On n’avait pas encore songé aux rails d’acier. Il y avait un surplus en caisse. Les deux anciennes provinces du Canada-Uni venaient de se partager leur actif.

« On commençait à accoutumer les gens à compter sur le gouvernement au lieu de compter sur leur propre initiative. Les diverses localités étaient invitées à appuyer le parti au pouvoir, afin de ne pas être oubliées dans la distribution des largesses ministérielles. On se croyait riche, et l’on répétait avec orgueil qu’un homme politique du Canada, dans un moment d’inspiration qui était presque un éclair de génie, avait prononcé ces mots sublimes : My policy is railways.