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PIERRE QUI ROULE

voisines étaient convoquées pour procéder au broyage. Après avoir été séchées au four, ces tiges étaient distribuées aux brayeuses. qui les inséraient dans les brayes, espèce de banc portant une rainure sur laquelle on posait une poignée de lin que l’on broyait en rabattant à plusieurs reprises un gourdin assujetti par un bout et muni d’un manche dépassant le bout extérieur de la rainure. Ces poignées de lin ainsi broyées étaient passées aux peigneuses qui, à l’aide d’une planchette munie de longs clous, débarrassaient la fibre des écorces qui y adhéraient encore. Les déchets formaient l’étoupe servant à calfeutrer, et la belle filasse blonde était plus tard transformée en fil, en draps de lit, en serviettes, en chemises et en vêtements d’été. Ces tissus étaient inusables et se vendraient aujourd’hui à des prix très élevés, s’il y en avait encore.

La laine des moutons, cardée, filée et tissée à la maison, fournissait la flanelle, le droguet, la grosse étoffe grise et la petite étoffe bleue qui servaient de vêtements aux hommes, femmes et enfants. Les tuques, bas et mitaines avaient la même origine domestique. Il y avait des tanneries dans presque chaque paroisse. Chaque habitant était son propre cordonnier et son propre gantier. Les bottes sauvages et les souliers de bœuf, à l’empeigne ridée et grimacière, étaient cousus à la maison avec de la bonne babiche taillée à même la peau de veau. Il en était de même des doubles mitaines en cuir destinées à recouvrir, les mitaines de laine. Elles empêchaient celles-ci de s’user trop vite et leur aidaient à protéger les mains contre le froid.

À propos de souliers de bœuf, je me rappelle qu’un Français avait bien fait rire les gens en leur demandant naïvement : « Mais, est-ce qu’on chausse les bœufs en ce pays ? Cette question était posée beaucoup plus tard ; après que la gloire, comme on disait alors,