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PIERRE QUI ROULE

Le jour de la Fête-Dieu, il avait organisé une procession comme on en voit peu. Toute la population catholique de l’endroit avait défilé sur un parcours de deux milles, longeant le petit lac de Stoke, jusqu’à la propriété Gordon que le père XXX devait acquérir plus tard. Deux reposoirs avaient été préparés, le premier chez le maître de poste et le second sur une colline située à l’extrémité est du lac, sur la ferme Gordon, colline sur laquelle le père XXX rêvait d’ériger un sanctuaire dédié à Saint-Gérard.

Quéquienne faisait fonctions de maître-chantre, puissamment secondé par d’autres fidèles pleins de bonne volonté, mais qui ne savaient pas le plain-chant et qui lisaient le latin d’une façon un peu fantaisiste. Après, le chant du Pange lingua et du Lauda Sion, comme si la cacophonie ne lui eut pas semblé suffisante, le père XXX, qui portait le Saint-Sacrement sous un dais recouvert d’un tapis de table, en drap vert, et entouré d’un rideau en percale ayant préalablement servi de bas de lit, criait de temps à autre, avec son accent méridional : « Mais channtez donnque ; que tout le monnde channte ! »

Au premier reposoir, il avait insisté auprès d’une paroissienne pour lui faire jouer de l’accordéon. Celle-ci avait refusé en alléguant qu’elle ne savait pas les airs qu’il fallait accompagner. Il lui avait dit qu’elle n’était pas aimable du tout, s’était emparé de l’instrument et en avait tiré des sons qui rappelaient à Quéquienne les vers suivants, attribués à un noble émigré qui avait tenté de gagner sa vie en enseignant la versification :

« Tithon marchait devant qui tirait de sa conque
Des sons si ravissante qu’ils ravissaient quiconque
À ces sons si touchants son oreille prêtait.
Oh ! la charmante, hélas ! musique que c’était. »