Page:Tremblay - Pierre qui roule, 1923.djvu/122

Cette page a été validée par deux contributeurs.
121
PIERRE QUI ROULE

Béchard était un écrivain facile et élégant, un peu blasé et ennemi juré de l’anglicisation sous toutes ses formes. Il avait beaucoup lu, beaucoup voyagé et beaucoup étudié. Les anglicismes, qui déparaient alors presque autant qu’aujourd’hui les colonnes de nos journaux franco-canadiens et qui, alors comme aujourd’hui, s’étalaient surtout dans les nouvelles dont la traduction était confiée à des jeunes gens qui se distinguaient par la modicité de leurs salaires beaucoup plus que par la profondeur de leurs connaissances en fait de linguistique, avaient le don de l’exaspérer.

« Il évitait ces fautes de langage, non seulement dans ses écrits, mais aussi dans sa conversation ordinaire. Je l’ai vu plus d’une fois faire des scènes violentes à de pauvres illettrés qui, ignorant jusqu’à l’existence du nom français de l’objet qu’ils voulaient désigner, employaient l’expression anglaise. Une traduction trop littérale ou un mot anglais employé dans un journal au lieu de l’équivalent français le mettaient hors des gonds.

« Il poussait les choses à l’extrême et prétendait qu’au fanatisme de l’anglomanie il fallait opposer le fanatisme de la francomanie. Enfin, c’était un apôtre et à ce titre il devait nécessairement essuyer toutes les rebuffades, ouvrir la voie, vivre personnellement méconnu, pour mourir pauvre et ignoré, laissant à d’autres la tâche plus facile de continuer son œuvre rudement ébauchée.

« Il y a bientôt un an qu’il est mort et, tout récemment, la plupart des journaux reproduisaient comme une nouveauté l’un des articles que, vers la fin de sa vie, il publiait dans la Patrie en les signant de ses initiales A. B.

« Arthur Buies, qu’un naïf avait cru reconnaître sous ces initiales, dut protester à plusieurs reprises et, avec la délicatesse qui distingue les crocheteurs du domaine