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PIERRE QUI ROULE

gues, à leurs luttes, à leurs déboires et à leurs légitimes aspirations.

« Je sais qu’il m’arrive souvent de voir les choses sous un aspect tout-à-fait différent de celui qui se présente à bon nombre de mes confrères. Résultat, sans doute, du genre d’éducation, ou plutôt du mode d’entraînement, que j’ai subi plutôt que je ne l’ai choisi, de cette expérience particulière composée plutôt d’impressions et d’observations que d’opinions toutes faites, transmises par des écrivains ou leurs commentateurs.

« Je n’ai pas toujours fait ce que j’ai voulu. J’ai fait ce que j’ai pu, et je n’ai jamais commis un acte malhonnête. J’ai toujours été prêt à entreprendre les travaux les plus ardus plutôt que de faire une bassesse. Je le suis encore. J’ai même, plus tard, pratiqué comme huissier à Sherbrooke. On m’avait fait nommer un peu malgré moi. Cela me rapportait un assez joli revenu annuel ; mais je n’ai jamais pu m’habituer à être l’instrument des cruautés, nécessaires ou non, qui s’exercent au nom de la loi.

« J’ai fait à peu près tout ce qu’un honnête homme peut faire pour gagner sa vie, et je n’ai jamais commis l’inconvenance de rougir d’un travail qui m’a fait vivre, moi et les miens, dans une honnête aisance. Maintenant, ceux qui croient m’humilier en me reprochant à moi, plébéien, d’avoir grandi et vieilli parmi les humbles, peuvent s’en donner à cœur joie.

« En ce qui concerne la politique américaine, je ne suis pas ce qu’on peut appeler un démocrate ; mais, dans le sens général du mot, je suis assez démocrate pour me moquer des aristos, et assez aristocrate pour refuser de fraterniser avec les coquins sous quelque déguisement qu’ils se présentent. En devenant journaliste, je suis resté homme du peuple. Cela ne m’a pas empêché de faire mon possible pour écrire correc-