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Les Sœurs Grises proposèrent à la municipalité d’établir un hôpital dans la cour même du couvent, à l’insu du public. La proposition fut acceptée. Pendant deux ans et demi les religieuses et leurs employés furent séquestrés dans les murs de l’institution, et principalement dans un bâtiment qui occupait alors remplacement des écuries actuelles du couvent. On allait chercher les malades la nuit. M. Phydime Lemieux était le voiturier des contagiés. Des centaines de patients furent sauvés et la contagion fut enrayée, mais plusieurs religieuses, mais plusieurs laïcs, périrent dans leur lutte contre le mal.

Or un jour l’aumônier de l’hôpital revenait d’une visite au lazaret clandestin. Un passant l’arrête et lui montre un article virulent de journal, dans lequel on insultait grossièrement les sœurs. Elles étaient prises à partie pour leur manque de charité, pour leur fuite du devoir. Le passant demande : « Est-il vrai, Père, que les Sœurs ne veulent pas soigner les picotés ? »

Le prêtre allait répliquer, mais il se souvint du secret. Revenant sur ses pas, il fit appeler la Supérieure et la mit au courant de ce qui se passait. Il la pria de lui permettre de répondre à l’accusation déshonnête. Sœur Bruyère s’écria, d’un accent et d’un air qui révélaient sa noble tristesse :

— Non, mon Père, laissez dire ; Dieu nous voit. On ne fait pas le bien sans qu’il en coûte.

Plus tard, elle consolait ses religieuses : « Il faut », disait-elle, « essuyer les accusations les plus sottement pernicieuses, et tout le feu de la calomnie, quand on travaille pour Dieu. »

C’est cet esprit-là qui a fait grandir l’Institut des Sœurs Grises de la Croix. À leur arrivée à Ottawa, elles avaient entendu l’hosanna ; quelques années plus tard, elles entendaient le « Tolle, crucifige ! » de la masse ignorante.

Et d’ailleurs, n’en est-il pas un peu toujours ainsi ? Pendant la campagne de décembre, j’ai entendu, pour ma part, les plus imbéciles calomnies dirigées contre les sœurs de l’hôpital, et je me suis demandé combien de temps nous, laïcs, dans les mêmes conditions, endurerions en silence le même assaut de stupidité ingrate.

À l’époque où l’indifférence, l’égoïsme vaniteux, le cynisme ignare méprisent quiconque souffre dans la pauvreté, il est récon-