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les hommes pourraient ne plus redescendre, aller gagner leur pain ailleurs, si la mine ne les a pas écrasés, ne leur a pas fêlé le crâne ou brisé l’échine. Mais elle, on l’a encagée un jour dans un box étroit et mobile, on ne la remontera que crevée ou mutilée, pour qu’elle n’inquiète pas l’homme de sa chair morte ou pour qu’il mange sa chair fraîche. Que doit-elle penser de nous, si elle a un peu de mémoire ?

Nous voyageons. Des bruits insolites. On dirait que des rats grignotent les boiseries couvertes d’ouate et de champignons. Le bruit grossit : une explosion, un éboulement lointains ? la houille qui tombe d’une taille proche ? On ne sait pas.

Une goutte d’or qui grelotte, une ombre qui remue. L’homme fore, patiemment, comme on joue de la serinette, la pierre irréductible qui couve la veine.

Nous allons descendre plus bas. Nous revenons vers la cage. Notre guide dit : « Le temps est remis : Il y a du soleil… » Il sent le soleil à treize cents pieds sous terre !

Rouf ! Nous sommes à environ quatre cent soixante-quinze mètres. Une taille en déclive de la largeur d’un homme. Nous glissons, les bois nous servent d’échelons. Et voici que le vertige — ce maudit vertige qui m’immobilisait au flanc des rochers de la Meuse lorsque je les descendais, un sac de poudre sur l’épaule — le vertige me reprend dans le noir. Je n’ai jamais eu peur de mourir, mais j’ai peur de tomber ! La lampe que j’ai attachée au col de ma chemise me chauffe la poitrine et la face. Je sue et, du dos de la main, je me mâchure comme un galibot. Nous descendons ainsi une vingtaine de mètres sur un coude et sur une cuisse. Des pierres ricochent sur mon casque.