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je me bouche les oreilles. C’est la chute vertigineuse dans le noir : un homme, là-haut, la main sur une tige de fer, les yeux sur la flèche blanche de l’indicateur, tient notre vie en son pouvoir. Si cet homme avait une défaillance, qu’arriverait-il ?…

De la lumière. Nous sommes arrivés : le voyage a duré quelques minutes. Nous sortons de la cage. Nous voilà dans une galerie, ployés en deux, nos lampes promenant des rais jaunes sur les bois moisis dont l’odeur emplit le trou. Nous sommes gauches, plus lourds des quatre cent cinquante mètres d’air qui nous pèsent sur les épaules. On ouvre des portes, on les referme — attentivement. La pompe. La grosse machine vit et bruit au fond de la terre comme un gros poumon. Sur la table du machiniste, je trouve le Peuple et ma prose. J’ai chaud au cœur : un homme me lit, chaque jour, dans son trou, du côté du centre du globe. Nous sortons.

Nous voyageons des pieds et des mains, comme des quadrumanes, nous faisons la courtilière dans les boyaux. De temps en temps, nous rencontrons une face mâchurée, yeux et dents luisants, allumés par les lampes, dont les taches se multiplient et bougent. On songe à des contes fantastiques, à des silhouettes de grotesques, à des histoires infernales. Nos ombres s’écrasent, se cassent, s’allongent, au gré de nos lampes capricieuses. L’air est composé de moisissure et de benzine.

Des lisses parois de grès, le porion fait jaillir des étincelles à la pointe de son marteau. Un cheval. Depuis combien d’années est-elle ici, la pauvre bête ? Depuis combien d’années n’a-t-elle plus revu le soleil et les pâturages verts, dont l’écurie lui rend les parfums fanés. Toute ma pitié va vers elle, en ce moment : les hommes remontent,