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trouvèrent une île au lieu d’un continent et ils firent un feu de joie dans la solitude marine. Là-bas, aux pôles, on recueillit des feuillets griffonnés dans les poches d’un cadavre inconnu et l’on alla plus loin que lui. Les poètes, les penseurs, les tribuns, les apôtres n’étaient pas morts puisqu’on les lisait dans les écoles, dans les églises et sur les places publiques. On poussa plus loin les recherches à travers les calculs et les lentilles et l’on fit de nouveaux miracles. On traça des routes souterraines et l’on vola à la terre ce que les enfers de la genèse y avaient enfoui. Les images des artistes décorèrent les églises, les musées et les places publiques et leurs harmonies réunirent les hommes silencieux et pieux. C’est ainsi que les siècles ont gardé les noms des Fous.

Ils étaient forts, ces Fous ! Ils furent sans indulgence pour eux et pour les autres. Leur vie tout entière fut un voyage ascensionnel et dramatique. Ils laissaient derrière eux des images bienveillantes, des chairs caressées, des mains toutes chaudes d’amitié, des baisers d’enfants rieurs. Parfois, la lassitude ou les regrets les ont abattus à mi-chemin. Puis ils se sont redressés, ont écarté de leur mémoire le passé humain, tranquille et tentateur. Au cours de leurs haltes, dans les maisons rencontrées le long de la route, ils ont prêché, ils ont crié : on les a chassés et, en passant le seuil un instant hospitalier, ils ont goûté l’orgueil d’avoir vaincu l’amour-propre, qui n’est qu’une vertu des demi-hommes. Ils ont monté, ils se sont grandis un peu, chaque jour, pour eux-mêmes — eux seuls le savaient : les autres l’ont ignoré longtemps, — ils ont éprouvé enfin, un soir, l’immense et cataclysmique joie d’avoir atteint la plénitude du rêve qui fut toute leur vie, ils se sont sentis divins, et, là-haut, — sinaï, golgotha, panthéon : inspiration,