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sont devenues les tours. Voici les tribuns — hier encore silencieux — qui surgissent, un soir d’orage, de la foule anonyme, trouvent des mots sonores comme des coups de clairon et changent la face du monde. Voici les lents apôtres aux yeux lumineux, au corps insensible, aux mains bénissantes, qui montent jusqu’aux golgothas où l’on dresse leur apothéose rouge. Voici les savants sourds, dardant leur cerveau et leurs yeux en des trajectoires démesurées ; transfigurés parmi les feux qui leur rongent les os ; sentant la folie qui, à coups durs de chiffres ou de synthèses verbales, bat leur crâne pressé : ils laissent ainsi leur corps, phalange à phalange, vertèbre à vertèbre, au métal miraculeux qu’ils domptent, ou leur dernière pensée au fil d’un rêve obstiné. Voici les chercheurs d’étoiles nouvelles, plongeant leurs immenses compas dans le vide infini, dont ils voient les tempêtes de feu et perçoivent les collisions. Voici le mineur des vieux âges, sortant du trou ténébreux, habité par les monstres inconnus, apportant au jour, dans ses mains religieuses, un morceau noir de soleil. Voici les artistes dont les doigts s’enfièvrent au rythme de leur cerveau et qui créent, en une heure généreuse, les images ou les harmonies impérissables. Voici les Fous dont les siècles ont gardé les Noms !

Car les conquérants affamés et râlants se sont abattus un jour aux frontières de la terre promise : ce n’était pas le paradis du mirage, mais celle-là était bonne et belle quand même après le pèlerinage meurtrier du désert. Les jardins des moines restèrent longtemps caillouteux et arides, mais d’autres vinrent pour qui les jardins furent généreux. Les ponts primitifs furent emportés par les crues, mais on multiplia leurs arches et ils subsistèrent à travers les siècles. Lambeau à lambeau, on détacha les icares de leur cercueil, on lui rendit des ailes et l’on conquit le ciel. Les navigateurs