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l’Alcoran ; à son retour ce Chameau tout chargé de guirlandes de fleurs, et comblé de benedictions, est nourri grassement, et dispensé de travailler le reste de ses jours. On le tue avec solemnité quand il est bien vieux, et l’on mange sa chair comme une chair sainte ; car s’il mouroit de viellesse ou de maladie, cette chair seroit perdue et sujette à pourriture. Les pelerins qui ont fait le voyage de la Méque sont en grande véneration le reste de leur vie ; absous de toute sorte de crimes ils peuvent en commettre de nouveaux impunément, puisqu’on ne sauroit les faire mourir suivant la Loy ; ils sont réputez incorruptibles, irréprochables et sanctifiez dés ce monde. On asseure qu’il y a des Indiens assez sots pour se crever les yeux aprés avoir veû ce qu’ils appellent les Saints lieux de la Méque, pretendans que les yeux ne doivent point aprés cela être profanez par la veüe des choses mondaines.

Les enfans qui sont conçûs pendant ce pelerinage, sont regardez comme de petits saints, soit que les pelerins les ayent eûs de leurs femmes légitimes, ou des avanturieres ; ces dernieres s’offrent humblement sur les grands chemins pour travailler à une œuvre aussi pieuse. Ces enfans sont tenus plus proprement que les autres, quoi qu’il soit malaisé d’ajoûter quelque chose à la propreté avec laquelle on prend soin des enfans généralement par tout le Levant.

Mahomet seroit loüable s’il n’avoit conseillé la propreté que comme une chose honnête et utile pour la santé ; mais il est ridicule d’en avoir fait un point de Religion. Cependant les Musulmans y sont si fort attachez qu’ils passent la plus grande partie de leur vie à se laver. Il n’y a point de village chez eux qui n’ait un bain public. Ceux des villes en font le principal ornement, et sont destinez pour toute sorte de gens, de quelque qualité et de quelque religion qu’ils soient ; mais les hommes ne s’y