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ruës, Je prie Dieu qu’il remplisse la bourse de ceux qui me donneront pour remplir mon ventre. Ceux qui croyent raffiner sur les plaisirs, se fatiguent la nuit autant qu’ils peuvent, pour mieux reposer le jour, et pour laisser passer le temps du Jeune sans en être incommodez. On fume donc pendant les tenebres aprés avoir bien mangé ; on joüe des instrumens ; on voit joüer les marionettes à la faveur des lampes. Tous ces divertissemens durent jusques à ce que l’aurore éclaire assez pour distinguer, comme ils disent, un fil blanc, d’avec un fil noir ; alors on se repose et l’on donne le nom de Jeûne à un sommeil tranquile qui dure jusques à la nuit. Il n’y a que ceux que la necessité oblige de travailler, qui vont à leur ouvrage ordinaire. Où est donc, selon eux, l’esprit de mortification qui doit purifier l’ame des Musulmans ? Ceux qui aiment la vie déreglée souhaiteroient que ce temps de pénitence durast la moitié de l’année, d’autant mieux qu’il est suivi du grand Bairam, pendant lequel par une alternative agréable on dort toute la nuit, et l’on ne fait que se réjoüir tant que le jour dure.

Sur la fin de la Lune de Ramazan, on observe avec soin celle de Chuval, et on annonce le Bairam dés qu’on l’a découverte. On n’entend alors que tambours et trompettes dans les Palais et dans les Places publiques. Si le temps est assez couvert pour cacher la nouvelle Lune, on retarde la feste d’un jour ; mais si les nuages continuent, on suppose que la Lune doit être nouvelle, et l’on allume des feux de joye dans les ruës. Les femmes qui sont renfermées pendant toute l’année, ont la liberté de sortir pendant les trois jours que dure cette fête. On en voit dans les palces que musiciens, escarpolettes, roües de fortune. On voltige dans ces escarpolettes, ou pour mieux dire, on se promeine en l’air sur des sieges de bois, par le moyen des cordes que des hommes conduisent avec plus ou moins