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se qu’à dormir, ou au moins à éviter les exercices qui altérent, car c’est un grand suplice que de ne pouvoir pas boire de l’eau pendant les grandes chaleurs. Les gens de travail, les voyageurs, les campagnards soufrent beaucoup ; il est vray qu’on leur pardonne de rompre le Jeûne, pourveû qu’ils tiennent compte des jours, et à condition d’en jeûner par la suite un pareil nombre quand leurs affaires le leur permettront : tout bien consideré le Carême chez les Musulmans n’est qu’un dérangement de leur vie ordinaire. Quand la Lune de Chaban, qui précede immédiatement celle de Ramazan est passée, on observe avec grand soin la nouvelle Lune. Une infinité de gens de toute sorte d’états se tiennent sur les lieux élevez et courent avertir qu’ils l’ont aperçeüe ; les uns agissent par devotion, les autres pour obtenir quelque récompense. Dés le moment qu’on est asseûré du fait, on le publie par toute la ville, et on commence à jeûner. Dans les endroits où il y a du canon, on en tire un coup au coucher du Soleil. On allume une si grande quantité de lampes dans les Mosquées, qu’elles ressemblent à des chapelles ardentes, et l’on prend soin de faire de grandes illuminations sur les minarets pendant la nuit.

Les Muezins au retour de la Lune, c’est à dire à la fin du jour du premier Jeûne, anoncent à haute voix qu’il est temps de prier et de manger. Les pauvres Mahometans qui ont alors le gozier fort sec, commencent à avaler de grandes potées d’eau, et donnent avidement sur les jattes de ris. Chacun se régale avec ses meilleures provisions ; et comme s’ils apprehendoient de mourir de faim, ils vont chercher à manger dans les ruës, aprés s’être bien rassasiez chez eux ; les uns courent au caffé ; les autres au sorbet ; les plus charitables donnent à manger à tous ceux qui se présentent. On entend les pauvres crier dans les