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rite, ou le credit de leurs amis. En temps de guerre tous les Spahis à la solde qui rapportent des têtes des ennemis, gagnent deux aspres d’augmentation par jour. Ceux qui apprennent les premiers au Grand Seigneur la mort de quelqu’un de leurs camarades, en attrapent autant.

La paye des Spahis se fait dans la sale et en présence du Grand Visir, ou de son Chiaïa, afin d’éviter tout sujet de plainte. Quoiqu’on ignore la naissance des Spahis, on peut les regarder comme la noblesse du pays : leur éducation les a mieux formez que les autres Turcs, et par tous pays les bonnes mœurs devroient faire la veritable noblesse. Ceux de la Cornette rouge n’étoient autrefois que les serviteurs de ceux de la Cornette jaune ; ils sont tous égaux aujourd’hui, et même les rouges avoient pris le dessus sur leurs maîtres sous Mahomet III. qui dans une bataille où les Spahis jaunes avoient laché le pied, rétablit ses affaires par la valeur des rouges.

Les armes des uns et des autres sont la lance et le cimeterre, quelques-uns se servent du dard qu’ils manient avec une adresse admirable : ce dard est un bâton ferré par un bout, et qui n’a qu’environ deux pieds et demi de long. Ils portent aussi l’epée, mais elle est attachée à côté de la selle de leur cheval et passe sous la cuisse du cavalier, de telle sorte qu’elle n’empéche pas qu’on ne fasse le coup de pistolet et de carabine. Il y en a aussi qui se servent d’arcs et de flêches, sur-tout les Spahis d’Anatolie, car ceux d’Europe ou de Romelie comptent plus sur nos armes. Cependant ces troupes combattent sans ordre et par pelotons, au lieu d’escadroner et de se rallier à propos. Mahomet Cuperli Grand Visir, qui savoit bien la guerre, bien loin de les discipliner, affecta de les humilier et de les entretenir dans leur ignorance, de peur que leur insolence n’augmentast. Depuis ce temps-là ce corps a beaucoup