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ou de leur faire changer de religion faute de payement de la Capitation. Ce Patriarche est vêtu aussi simplement que les autres Prêtres ; il vit tres frugalement et n’a qu’un petit nombre de domestiques mais c’est un Prelat des plus considérables du monde par l’authorité qu’il a sur sa nation, laquelle tremble sous lui à la moindre menace d’excommunication. On asseûre qu’il y a quatre-vingt mille villages qui le reconnoissent. Pour se maintenir en place, combien ne donne-t-il pas au Gouverneur d’Erivan et aux puissances de la Cour ? Il faut être bien esclave de l’ambition pour acheter de semblables postes.

C’étoit autrefois le seul Patriarche parmi les Armeniens qui eût le pouvoir de faire le St. Chresme ou Mieron, du Grec Myron, composition liquide ou huile parfumée. Il en fournissoit tous les Etats de Perse et de Turquie ; les Grecs même l’achetoient avec vénération, et l’on disoit communément que des Trois Eglises il sortoit une fontaine d’huile sacrée, laquelle arrosoit tout l’Orient. Le Patriarche l’envoyoit aux Archevêques et aux Evêques Armeniens, pour le répandre et pour l’employer dans le Baptême et dans l’Extrême-Onction : mais depuis plus de 40 ans Jacob Vertabiet et Evêque Armenien qui faisoit sa résidence à Jerusalem, s’avisa de s’ériger en Patriarche sous le bon plaisir du grand Visir, et refusa de prendre le Mieron du Patriarche des Trois Eglises. Comme l’huile est à bon marché dans la Palestine, et que cette liqueur ne se corrompt pas, il en fit plus qu’il n’en falloit pour oindre, pendant plusieurs années, tous les Armeniens qui sont en Turquie. Voilà le sujet d’un grand Schisme parmi eux. Les Patriarches s’excommuniérent réciproquement ; celui des Trois Eglises forma un grand procés à la Porte contre celui de Jerusalem. Les Turcs qui sont trop habiles pour vouloir décider la question, se