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per dans les montagnes à deux journées de Cars, sur la route d’Erzeron ; et comme nous n’avions plus d’Evêque Armenien qui pût interceder pour nous, nous crûmes qu’il y auroit de l’imprudence de risquer le passage sans Caravane. En attendant qu’il s’en presentât quelqu’une, nous vîmes plusieurs malades avec succés, au moins par rapport à leur santé ; car toutes nos visites ne nous procuroient que quelques plats de fruits, ou quelques pintes de lait. Les environs de Cars sont propres pour herboriser, et nous nous promenions en liberté à la faveur des amis que nous nous y étions faits en venant d’Erzeron. L’Aga qui avoit une fistule au fondement, quoiqu’il n’eust ressenti aucun soulagement de nos remedes, vint pourtant nous en remercier et nous protesta qu’il ne permettroit pas que nous partissions sans bonne escorte. Un autre Seigneur que nous avions fort soulagé des hemorroïdes dont il étoit cruellement tourmenté, voulut lui-même nous accompagner avec trois ou quatre personnes de sa maison jusques à ce qu’il nous crut hors de danger ; tant il est vrai qu’il y a d’honnêtes gens par tout, et qu’une boëte de remedes bien choisis, bien préparez, et donnez à propos, est un excellent passeport. Il n’y a point de lieu sur la terre où l’on ne se fasse de bons amis avec le secours de la medecine ; le plus grand Jurisconsulte de France passeroit pour un personnage fort inutile en Asie, en Affrique, et en Armenie ; les plus profonds et les plus zelez Theologiens n’y feroient pas de grands progrés si le Seigneur ne touchoit efficacement le cœur des infidelles : mais comme on fuit la mort par tout pays, on y recherche et on y révere les Medecins. Le plus grand éloge qu’on puisse faire des gens de nôtre profession, c’est de convenir qu’ils sont nécessaires, car le Seigneur n’a établi la medecine que pour le soulagement