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Ils eurent beau se renommer du Roy de Perse, et faire valoir les bons traitemens que les sujets du Grand Seigneur recevoient dans leur pays. Les Turcs de Cars ont l’ame dure ; il fallut payer cinq écus par tête, et prendre un billet de Carach qui leur tint lieu de quittance, pour ne pas payer une seconde fois. Ils furent assez sots de nous proposer de les indemniser de ce tribut, parceque c’étoit pour nôtre service qu’on leur faisoit cette avanie ; nous répondîmes que nous n’avions pas mis cette clause dans nôtre marché, mais que pourtant nous aurions volontiers donné cet argent s’ils nous avoient fait coucher dans le village et non pas en pleine campagne à la merci des voleurs et des loups.

A la verité nous passâmes une cruelle nuit prés de ce ruisseau. Elle nous parut encore plus longue aprés la retraite du donneur d’avis ; car enfin ce bon homme, voyant que sa rhetorique ne servoit de rien, se retira. Nous ne sçavions s’il étoit venu pour nous reconnoître, et pour avertir ses amis que nous avions une charge de marchandises outre nôtre bagage. Cependant ce qui paroissoit marchandise n’étoit que nôtre Recüeil de Plantes seches enfermées dans deux coffres à la Turque. Le donneur d’avis n’avoit pas laissé de les soupeser en nous faisant ses remontrances et il en avoit admiré la légereté. Pour parler tout naturellement, je crois que nôtre air de pauvreté nous sauva, car tout nôtre bagage ne valoit pas la peine qu’on auroit prise de venir du village pour l’enlever. Neanmoins comme les nuits sont froides en Levant, et que celle-là me paroissoit encore plus froide à moi qu’à aucun de la compagnie, parce que mes habits n’étoient pas encore bien secs, j’étois dans une étrange perplexité. Le chemin que nous avions à faire jusques à Cars augmentoit mon inquiétude ; on ne parloit que de brigands,