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vions aller nous désalterer. Je laisse à deviner de quelle voiture Noé se servit pour descendre, lui qui pouvoit monter sur tant de sortes d’animaux puisqu’il les avoit tous à sa suite. Nous nous laissâmes glisser sur le dos pendant plus d’une heure sur ce tapis vert ; nous avancions chemin fort agréablement, et nous allions plus vîte de cette façon là que si nous avions voulu nous servir de nos jambes. La nuit et la soif nous servoient comme d’éperons pour nous faire hâter. On continua donc à glisser autant que le terrein le permit ; et quand nous rencontrions des cailloux qui meurtrissoient nos épaules, nous glissions sur le ventre, ou nous marchions à reculon à quatre pattes. Peu à peu nous nous rendîmes au Monastere, mais si étourdis des coups et si fatiguez de ces alleûres, que nous ne pouvions remuer ni bras ni jambes. Nous trouvâmes assez bonne compagnie dans ce Monastere, dont les portes sont ouvertes à tout le monde, faute de battans pour les fermer. C’étoient des gens du village qui s’y étoient venus promener ; ils étoient sur leur départ et malheureusement pour nous ils n’avoient ni eau ni vin. Il fallut donc envoyer au ruisseau, mais nous n’avions pour tout ustencile que nôtre bouteille de cuir qui ne tenoit qu’environ deux pintes. Quel supplice pour celui de nos Guides sur qui le sort tomba pour l’aller remplir ? Il eut à la verité le plaisir de boire le premier, mais personne ne le lui envia, car il le paya bien cher, la descente du Monastere au ruisseau étant de prés d’un quart de lieuë perpendiculaire et le chemin fort herissé. On peut juger de là si le retour devoit être agréable. Il faut demi heure de temps pour ce voyage, et la premiere bouteille fut presque beuë d’un trait ; cette eau nous parut du nectar ; il fallut donc attendre encore demi heure pour en avoir autant : Quelle misere ! Nous montâmes à cheval pendant