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gue durée. Nous retombâmes dans des fables qui couvroient le dos de l’abîme et qui étoient pour le moins aussi fâcheux que les premiers. Quand nous voulions glisser, nous nous y enterrions jusqu’à la moitié du corps, outre que nous n’allions pas le bon chemin, parce qu’il falloit tourner sur la gauche pour venir sur les bords de l’abîme que nous souhaitons de voir de plus prés. C’est une effroyable veüe que celle de cet abîme, et David avoit bien raison de dire que ces sortes de lieux montroient la grandeur du Seigneur. On ne pouvoit s’empécher de frémir quand on le découvroit, et la tête tournoit pour peu qu’on voulût en examiner les horribles précipices. Les cris d’une infinité de Corneilles qui volent incessamment de l’un à l’autre costé, ont quelque chose d’effrayant. On n’a qu’à s’imaginer une des plus hautes Montagnes du monde, qui n’ouvre son sein que pour faire voir le spectacle le plus affreux qu’on puisse se répresenter. Tous ces précipices sont taillez aplomb, et les extrémitez en sont hérissées et noirâtres, comme s’il en sortoit quelque fumée qui les salît, il n’en sort pourtant que des torrens de boüe. Sur les six heures aprés midi nous nous trouvâmes tres-épuisez, et nous ne pouvions pas mettre un pied devant l’autre, mais il fallut faire de nécessité vertu, et mériter les noms de Martyrs de la Botanique.

Nous nous aperçeûmes d’un endroit couvert de pelouse, dont la pente paroissoit propre à favoriser nôtre descente, c’est à dire le chemin qu’avoit tenu Noé pour aller au bas de la Montagne. Nous y courûmes avec empressement ; on s’y reposa ; on y trouva même plus de Plantes qu’on n’avoit fait pendant toute la journée ; et ce qui nous fit plaisir, c’est que nos Guides nous firent voir de là, quoique de fort loin, le Monastere où nous de-