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de prendre langue et de nous instruire des particularitez de cette Montagne, nous leur fîmes proposer plusieurs questions ; mais tout bien consideré, ils nous conseillérent de nous en retourner, plûtost que d’oser entreprendre de monter jusques à la neige. Ils nous avertirent qu’il n’y avoit aucune fontaine dans la montagne, excepté le ruisseau de l’abîme, où l’on ne pouvoit aller boire qu’auprés du Couvent abbandonné, dont on vient de parler, et qu’ainsi un jour ne suffiroit pas pour aller jusque sà la neige, et pour descendre au fond de l’abîme. Qu’il faudroit pouvoir faire comme les Chameaux, c’est à dire boire le matin pour toute la journée, n’étant pas possible de porter de l’eau en grimpant sur une montagne aussi affreuse, où ils s’égaroient eux-mêmes assez souvent. Que nous pouvions juger de la misere du pays, par la necessité où ils étoient de creuser la terre de temps en temps pour trouver une source qui leur fournît de l’eau pour eux et pour leurs troupeaux. Que pour des Plantes il étoit tres-inutile d’aller plus loin, parce que nous ne trouverions au dessus de nos têtes que des rochers entassez les uns sur les autres. Enfin qu’il y avoit de la folie à vouloir faire cette course ; que les jambes nous manqueroient, et que pour eux ils ne nous y accompagneroient pas pour tout l’or du Roy de Perse.

Nous observâmes ce jour-là d’assez belles Plantes ; mais nous nous attendions à bien d’autres choses pour le lendemain, quoiqu’en dissent les Bergers. Qui est-ce qui au seul nom du Mont Ararat ne s’y seroit pas attendu ? Qui est-ce qui ne se seroit pas imaginé de trouver des Plantes les plus extraordinaires sur une Montagne qui servit, pour ainsi dire, d’escalier à Noé pour descendre du ciel en terre avec le reste de toutes les creatures ? Cependant nous eûmes le chagrin de voir sur cette route le Coto-