Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/429

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

der s’il n’y avoit pas des Religieux reclus dans quelques cavernes ? L’idée qu’on a dans le pays que l’Arche s’y arrêta, et la vénération que tous les Armeniens ont pour cette Montagne, ont fait présumer à bien des gens qu’elle devoit être remplie de Solitaires, et Struys n’est pas le seul qui l’ait publié ; cependant on nous asseûra qu’il n’y avoit qu’un petit Couvent abbandonné, au pied de l’abîme, où l’on envoyoit d’Acourlou tous les ans un Moine pour recüeillir quelques sacs de Blé que produisent les terres des environs. Nous fûmes obligez d’y aller le lendemain pour boire, car nous consommâmes bientôt l’eau dont nos guides avoient fait provision, sur les bons avis des Bergers. Ces Bergers y sont plus devots qu’ailleurs, et même tous les Armeniens baisent la terre dés qu’ils découvrent l’Ararat, et récitent quelques priéres aprés avoir fait le signe de la croix.

Nous campâmes ce jour-là tout prés des cabanes des Bergers ; ce sont de méchantes huttes qu’ils transportent en differens endroits, suivant le besoin, car ils n’y sçauroient rester que pendant le beau temps. Ces pauvres Bergers qui n’avoient jamais veû de Francs, et sur tout de Francs Herboristes, avoient presque autant de peur de nous, que nous en avions eü des Tigres ; neanmoins il fallut que ces bonnes gens se familiarisassent avec nous, et nous commençames à leur donner, pour marque de nôtre amitié, quelques tasses de bon vin. Dans toutes les montagnes du monde on gagne les Bergers par cette liqueur qu’ils estiment infiniment plus que le lait dont ils se nourrissent. Il se trouva deux malades parmi eux qui faisoient des efforts inutiles pour vomir ; nous les secourumes sur le champ, et cela nous attira la confiance de leurs camarades.

Comme nous allions toûjours à nôtre but, qui étoit