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lité ; ils entrérent aprés la colation, et nous fîmes prier pour lors le Maître de la maison de nous faire donner pour nôtre argent de bons chevaux et des guides qui pussent nous conduire au Mont Ararat. Quelle devotion avez-vous, dit-il, pour le Mont Macis ? c’est le nom que les Armeniens donnent à cette Montagne ; les Turcs l’appellent Agrida. Nous répondîmes, que nous trouvans si prés d’un lieu celebre, sur lequel on croyoit que l’Arche de Noé s’étoit arrêtée, nous serions mal receus dans nôtre pays si nous nous retirions sans le voir. Vous aurez de la peine, dit le Patriarche, d’aller jusques aux neiges ; et pour ce qui est de l’Arche, Dieu n’a jamais fait la grace de la faire voir à personne qu’à un saint Religieux de nôtre Ordre, qui aprés cinquante ans de jeûnes et de priéres y fut miraculeusement transporté ; mais le froid le penétra si fort, qu’il en mourut à son retour. Nôtre Interprete le fit rire en lui repliquant de nôtre part, qu’aprés avoir jeuné et prié la moitié de nôtre vie, nous demanderions à Dieu la grace de voir le Paradis, plutost que les débris de la maison de Noé. On nous raconta aux Trois Eglises, qu’un de leurs Religieux nommé Jaques, qui fut ensuite Evêque de Nisibe, résolut de monter au sommet de la Montagne ou de perir en chemin, trop heureux d’avoir tenté de découvrir les reliques de l’Arche ; qu’il exécuta son dessein avec beaucoup de peine, car quelques efforts qu’il fist pour y monter, il se trouvoit toujours, aprés son réveil, dans un certain endroit à peu prés vers le milieu de la hauteur : que ce bon homme connut bien, aprés quelques jours, qu’il tenteroit inutilement d’aller plus loin ; et que dans son affliction un Ange lui apparut et lui apporta le bout d’une planche de l’Arche. Jaques revint au Couvent chargé d’un si precieux fardeau ; mais avant que de partir l’Ange lui déclara que Dieu ne vouloit pas que les hommes al-