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A present tout est bien changé. Le Prince de Georgie, qui proprement n’est que le Gouverneur du pays, doit être Mahometan, car le Roy de Perse ne donne point ce Gouvernement à un Seigneur d’une religion differente de la sienne. Le Prince de Teflis s’appelloit Heraclée, dans le temps que nous y êtions, il étoit du Rite Grec, mais on l’obligea de se faire circoncire. On dit que ce malheureux professoit les deux religions, car il assoit à la Mosquée, et venoit à la Messe chez les Capucins où il beuvoit à la santé de Sa Sainteté. C’étoit le Prince du monde le plus inconstant et le plus indéterminé ; on lui faisoit changer de sentiment plusieurs fois tout de suite sur les affaires les plus claires : en voici un exemple à l’égard d’un scelerat, qui suivant le jugement de tout le monde meritoit plus que la mort, s’il est possible d’ôter aux hommes quelque chose de plus precieux que la vie. Un Seigneur vint lui répresenter l’enormité des crimes de cet homme ; le Prince ordonna sur le champ qu’on lui coupât la main dont il s’étoit servi pour tuer les autres ; mais une Dame ayant imploré sa clemence, l’assûra que les enfans de ce malheureux mourroient de faim si le pere perdoit la main qui gagnoit leur vie ; l’ordre fut révoqué d’abord. Un Courtisan fit connoître aprés cela au Prince, que pour le bien public cet homme meritoit la mort. Qu’on l’éxecute donc, dit Heraclée. La femme du criminel vint ensuite se jetter à ses pieds ; qu’on suspende l’éxecution, dit-il : Après que cette femme se fut retirée, un Favori du Prince lui répresenta qu’on perdroit le respect qu’on lui devoit, s’il pardonnoit de semblables crimes ; qu’on le punisse, s’écria-t-il : Pour lors le bourreau le prit au mot et coupa la main au criminel ; mais le Prince, à la sollicitation d’un autre Favori à qui les parens du scelerat avoient fait quelque present, pri-