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merciâmes tres-humblement, mais il auroit pû se dispenser de nous jetter dans de nouveaux embarras.

Ce bon homme, par honnêteté comme nous le jugeâmes par la suite, s’avisa d’aller faire ses adieux aux Curdes, et de leur distribuer les restes de nôtre eau de vie : nous aurions fort approuvé son procedé si nous n’avions pas êté de la partie et qu’il n’eût pas fallu s’approcher de leurs pavillons. Ce sont de grandes tentes d’une espece de drap brun foncé, fort épais et fort grossier qui sert de couvert à ces sortes de maisons portatives, dont l’enceinte, qui fait le corps du logis, est un quarré long fermé par des treillis de cannes de la hauteur d’un homme, tapissez en dedans de bonnes nattes. Lorsqu’il faut démesnager ils plient leur maison comme un paravent, et la chargent avec leurs ustencilles et leurs enfants sur des bœufs et sur des vaches. Ces enfants sont presque nuds dans le froid, ils ne boivent que de l’eau de glace, ou du lait boüilli à la fumée des bouzes de vache que l’on amasse avec beaucoup de soin, car autrement leur cuisine seroit tres froide. Voila comment les Curdes vivent en chassant leurs troupeaux de montagne en montagne. Ils s’arrêtent aux bons pâturages, mais il faut en décamper au commencement d’Octobre et passer dans le Curdistan, ou dans la Mesopotamie. Les hommes sont bien montez et prennent grand soin de leurs chevaux ; ils n’ont que des lances pour armes. Les femmes vont, partie sur des chevaux, partie sur des bœufs. Nous vîmes sortir une troupe de ces Proserpines qui venoient pour voir l’Evêque, et sur tout nous qui passions pour des Ours que l’on menoit promener. Quelques-unes avoient une bague qui leur perçoit une des narines ; on nous assûra que c’êtoient des Fiancées. Elles paroissent fortes et vigoureuses, mais elles sont fort laides, et ont dans la phisionomie un certain air de ferocité. Elles ont les yeux